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Au-delà du NIMBY

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Le mardi 2 juillet 2013

L’acceptation sociale des projets de développement

Au-delà du NIMBY

Par Corinne Gendron

Au-delà du NIMBY

Depuis quelques années, les projets tant privés que publics semblent faire l’objet d’une contestation accrue. Que l’on pense à la Centrale du Suroît, au Parc du Mont Orford, au Casino du bassin Peel ou à certains parcs éoliens, plusieurs projets de développement ont suscité une opposition telle qu’ils ont finalement été abandonnés.

 

On explique souvent cette contestation par une montée du syndrome NIMBY Not In My Back Yard (ou Pas dans ma cour). Ainsi, l’opposition serait due à un égoïsme de mauvais aloi, de même qu’à une mauvaise compréhension des projets et de leurs impacts. Sur la base de ce diagnostic, le remède paraît simple : il s’agit de convaincre le public de l’intérêt du projet et de mieux l’informer pour corriger sa perception du risque. Malheureusement, ce remède s’avère souvent inefficace : une fois déclenchée, la contestation semble même se nourrir des tentatives du promoteur pour expliquer et bonifier son projet.

 

C’est que le diagnostic NIMBY et la réponse qu’il suggère traduisent une mauvaise compréhension de la dynamique au cœur de ce qu’on appelle l’acceptabilité sociale. L’acceptabilité sociale reflète l’assentiment de la population à un projet ou à une décision. Il s’agit d’un jugement collectif à l’effet que le projet proposé est supérieur au statu quo ainsi qu’aux alternatives imaginables. Contrairement à ce que véhicule le syndrome NIMBY, ce jugement participe d’une construction sociale du risque tout comme il s’ancre dans l’idéal du progrès que porte la population. Il ne se résume donc pas à l’agrégation d’estimations individuelles, mais résulte d’une dynamique sociale qui façonne les perceptions et même les comportements à l’égard d’un projet compte tenu de ses enjeux pour la collectivité. Bref, ce jugement n’a rien d’une opération comptable qui consisterait à évaluer les bénéfices et les pertes encourues par chacun dans la foulée du projet.

 

L’acceptabilité sociale relève d’une redéfinition des rapports existant entre les promoteurs et les collectivités où ils souhaitent s’implanter. Les promoteurs supposent trop souvent que la population et les collectivités ne sont aptes qu’à recevoir des projets conçus par d’autres. Les rejets successifs de projets sont donc interprétés comme un immobilisme nuisible qu’on explique désormais par le syndrome BANANA Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything. Plus radicale que le NIMBY, cette caricature discrédite entièrement une opposition qu’on n’a malheureusement plus l’ambition de comprendre.

 

Pourtant, les mouvements d’opposition sont porteurs d’une expertise, profane et souvent même scientifique, qui s’avère pertinente dans l’évaluation des risques que doit faire le promoteur. À travers une analyse ancrée dans l’expérience quotidienne et alimentée par d’autres canaux d’information, ces mouvements mettent en lumière les impacts potentiels d’un projet ou d’une technologie que ne peuvent déceler les outils traditionnels de modélisation.

 

Mais plus fondamentalement, la population appelée à subir un risque a certainement son mot à dire quant à l’intérêt et à la pertinence du projet qui en est la source. Et n’est-il pas légitime qu’une population soit associée à une initiative à travers laquelle on prétend assurer son propre développement? L’acceptabilité sociale requiert donc une nouvelle attitude à l’égard du public qui prenne acte du rôle actif auquel prétendent les populations dans une démocratie participative où l’exercice de la citoyenneté ne se confine plus aux rendez-vous électoraux.

 

L’acceptabilité sociale suppose de concevoir un projet qui soit en phase avec les valeurs et les aspirations de la collectivité. Elle résulte d’un dialogue, formel ou non, qui ne peut s’établir que dans un climat de confiance construit sur le long terme, et en amont de tout projet. A contrario, lorsqu’un projet suscite la controverse, c’est que des réseaux sociaux porteurs d’une autre vision du progrès se sont structurés sur un mode contradictoire avec le promoteur; dès lors, plus le promoteur insiste sur son projet, plus l’opposition tentera de faire valoir les alternatives dans une dynamique de surenchère. La structuration de l’opposition à un projet est aussi l’occasion de développer de nouveaux savoirs et de construire des compétences qui peuvent transformer la controverse pour la faire changer de champ. Le cas du Mont Orford est emblématique de ce phénomène : l’opposition s’est progressivement déplacée pour questionner non seulement le projet économique, mais la valeur et l’effectivité du statut juridique de parc national.

 

Dans ce contexte, les opérations de séduction déployées à la hâte pour répondre à une controverse inattendue sont généralement vouées à l’échec. Les opposants auront tendance à camper sur une position qui participe désormais de leur identité, de telle sorte que bien souvent, l’inacceptabilité d’un projet est non seulement verrouillée, mais irréversible.

 

Avocate diplômée en droit de l’Université de Montréal, détentrice d’un MBA en marketing-finance des HEC et d’un doctorat en sociologie, l’auteure est professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable.

 

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